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Quelle fabrique de la gouvernance au sein des organisations culturelles ? Une étude de cas multiples
Delphine Vallade  1@  , Nadine Richez-Battesti  2  , Francesca Petrella  3  , Cyrille Ferraton  1  
1 : ART-dev
CNRS : UMR5281
2 : Laboratoire d'économie et de sociologie du travail  (LEST)  -  Site web
Aix Marseille Université, CNRS : UMR7317
35 Avenue Jules Ferry - 13626 Aix en Provence cedex 1 -  France
3 : Laboratoire d'économie et de sociologie du travail  (LEST)  -  Site web
CNRS : UMR7317, Aix-Marseille Université - AMU
35, Avenue Jules Ferry - 13626 AIX EN PROVENCE CEDEX 1 -  France

En se focalisant sur la fabrique de la gouvernance, notre contribution analyse la mise en cohérence du projet et des modalités de fonctionnement des organisations de l'ESS œuvrant dans le secteur de la culture. Au-delà des statuts juridiques et des instances légales qui leurs sont associées, nous cherchons à mieux comprendre comment les règles et les arbitrages se fabriquent au quotidien et comment ils impactent le positionnement des organisations dans le champ culturel.

En France, la présence de l'ESS[1] est assez forte dans la culture. Selon les données INSEE-CLAP de 2014, la culture représente 1,5 % des emplois de l'ESS mais 26 % de l'emploi dans la culture et 70 % des établissements employeurs relèvent de l'ESS. Il s'agit plutôt de petits établissements et d'associations. La présence des SCOP et des SCIC est encore relativement faible, mais en développement.

Depuis une dizaine d'années, et de façon renforcée depuis le rapport Latarjet (2018), l'ESS est présentée comme une occasion de transition du modèle culturel vers un nouveau modèle économique permettant de prendre en compte le désengagement des collectivités territoriales et de l'Etat dans le financement de la culture, mais aussi ce que l'on appellerait un nouvel usage entrepreneurial. Dans le même temps, on observe que l'usage de l'association, fait par un certain nombre d'opérateurs de la culture, est en réalité un usage de facilité qui n'est pas forcément adapté. Par exemple, on note le soutien à un artiste plutôt qu'à un collectif d'artistes. Il peut donc y avoir une tension entre ce choix de l'association et un véritable engagement autour des principes associatifs et, notamment, d'une gouvernance démocratique. Quand choix coopératif il y a, celui-ci apparaît davantage politique mais entre parfois en tension avec l'activité. On se rend compte que la plupart des opérateurs méconnaissent le fonctionnement de l'ESS, notamment sur la question de la gouvernance, bien que l'économie sociale et solidaire soit présentée comme un vecteur de transition. C'est en ce sens que nous nous sommes intéressés à la fabrique de la gouvernance dans ces organisations.

Nous avons procédé à une analyse approfondie de trois organisations avec un suivi longitudinal, plus ou moins long selon les structures. Ces organisations ont eu des rythmes de croissance différenciés, elles ont en commun d'avoir diversifié leurs activités Elles ont des statuts différents – association, SCIC et SCOP – et des anciennetés différentes. Certaines datent de la fin des années 1990, tandis que d'autres sont récentes. Nous avons réalisé une triangulation des données avec des entretiens semi-directifs, de la littérature grise et des rapports dans le champ de la culture.

L'enquête menée auprès des trois structures cible deux axes principaux puis analyse les points communs et les divergences. Sans détailler ici la présentation des structures, précisons qu'elles couvrent des activités diverses dans le champ culturel : la première, l'association, propose des activités artistiques et culturelles participatives dont une télé de quartier et un pôle de ressources et de mutualisation afin d'accompagner des artistes à développer leur projet. L'activité de la seconde, la SCIC, se compose d'accompagnement d'artistes et contribue à la structuration du secteur culturel avec le développement d'activités de production et de diffusion et l'entrée dans les industries culturelles et créatives. La troisième, sous statut SCOP, touche plutôt à la production audiovisuelle, culture et patrimoine et à la formation aux logiciels libres.

Dans un premier temps, nous nous sommes demandés à quel moment ces trois structures se sont posé la question de leur gouvernance. Il apparaît que le moteur de la gouvernance est assez différent dans les trois cas : il s'agit soit d'une volonté d'accompagner le développement de l'activité, soit d'une volonté de travailler activement avec le projet. Par exemple, pour l'association, la question d'une gouvernance démocratique intervient comme un déclic, en lien avec le parcours du dirigeant. Le passage d'une gouvernance de complaisance à un CA d'engagement et de compétences va accompagner le développement de l'activité et le souci d'être en cohérence avec le projet d'art participatif. Dans les autres cas, c'est un choix politique de départ ou bien une manière d'insérer de la démocratie (et de mieux intégrer les acteurs locaux) lorsque le projet change de statut (d'association à SCIC). 

Dans un second temps, nos observations ont porté sur le fonctionnement des instances avec une question : où se fabrique la gouvernance démocratique ? Nous montrons alors que, dans les trois cas, elle ne se fait finalement que très partiellement dans le volet de la gouvernance formelle. En revanche, elle va prendre place de façon très importante dans des pratiques plus informelles, moins statutaires, moins posées par la loi. Toute une série de petites innovations – elles ne sont pas radicales – vont être mises en œuvre. On perçoit que cette fabrique de la gouvernance démocratique passe par la nécessité de repenser l'organisation en même temps que se pense la gouvernance formelle.

Ainsi, on observe une variété de dispositifs de gouvernance, alors même que l'objectif de faire vivre la gouvernance démocratique au service du projet est partagé. Dans tous les cas, l'élargissement des parties prenantes impliquées et la volonté de construire des dispositifs de participation apparaissent comme des leviers pour un positionnement réfléchi et choisi du projet dans le champ culturel. Nous montrons que ces processus se construisent aussi dans l'incertitude du résultat : on ne sait jamais à quoi on va aboutir.

Finalement, cette fabrique de la gouvernance dans les organisations culturelles est un remarquable espace d'expérimentations démocratiques. De manière différenciée, chaque organisation, par tâtonnement, et avec des périodes de tension plus ou moins aigües, construit des formes de participation, d'engagement, qui conditionnent la cohérence et une certaine soutenabilité du projet. A ce stade, il reste à approfondir la manière dont la place accordée à la question de la démocratie réagit sur les contenus culturels eux-mêmes, leur originalité, accessibilité, exigence de qualité, etc.


[1] Nous retenons ici un périmètre de l'Economie Sociale et Solidaire (ESS) tel que défini par la loi Hamon, tout au moins pour les aspects statistiques.



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